Texte par Lou-Anna Ulloa del Rio
Playboy Spacial Products: The playboy club and the Playboy Archipelago as Pornscape
Ce chapitre explore l’étendue et l’impact socio-économique de la territorialisation internationale de Playboy, entre 1960 et 1991, années durant lesquelles de nombreux Playboy clubs seront ouverts dans le monde entier, colonisant ainsi le monde capitaliste d’après-guerre par la diffusion du paradigme playboyien comme modèle hétero-patriarcal de la performativité du genre.
En 1960, Hugh Hefner ouvre le premier Club Playboy à Chicago. Il s’agit d’une grande maison, basée sur les critères esthétiques post-domestiques bien connus de Playboy. La luxueuse demeure continue de nourrir les mêmes désirs playboyiens hétérosexuels et patriarcaux. Salle de jeux, penthouse, bibliothèque, salon,… une multitude d’espaces post-domestiques habités par les bunnies et voués à la performativité du genre par le célibataire émancipé de ses contraintes traditionnelles et familiales. Ainsi, à l’image du magazine, mais cette fois de manière bien réelle, le club playboy lui fournit alors l’espace qui lui permet d’ouvrir une porte sur la réappropriation de son genre. Cependant, les client n’ont accès à aucun bien matériel, ni aucun rapport d’intimité les bunnies : les clients s’approprient le lieu par l’usage de leurs yeux et la présence de leurs corps. Ils payent pour pouvoir habiter l’espace même du club, un espace configuré comme produit par lui-même. Le club leur vend des expériences, qui fournissent un accès à des relations plutôt qu’a des objets.
Le playboy club, comme les complexes touristiques, les parcs à thème, les supermarchés ou encore les aéroports sont des espaces capitalistes qui fournissent aux visiteurs un rapport rapproché à l’objet fantasmé : il s’agit donc de créer un lieu utopique et totalitaire pour le visiteur, un produit spatial comme contexte narratif pour un consommateur à la soif d’émancipation, performant son genre, sa classe et sa sexualité dans un rapport à distance de leurs fantasmes, mis en exergue par le lieu, qui retranscrit et distribue dans l’espace des petits bouts de pouvoir. Avec les clubs Playboys, qui rapidement colonisent le monde entier, HH crée un espace en autarcie, une sorte d’île pour le règne de l’homme blanc bourgeois hétéro-patriarcal, tout en continuant de creuser le fossé avec le modèle traditionnel familial d’après-guerre. Les clubs playboys créent ainsi une hégémonie mondiale de modèle de genre et de sexualité. Leur construction sociale et inscription historique comme évènement capitaliste durant la guerre froide permettent aux espaces des clubs playboys de catalyser la complexité binaire entre domesticité et masculinité, publicité et intériorité, entre vice et vertu, entre convention sociale et plaisir intime. Les hommes qui entrent dans le club acquièrent le pouvoir de devenir des playboys.
L’espace performatif que représentent les clubs playboys, l’archétype, le paradigme de playboy sont des notions qui sont saturées d’icônes visuelles, codifiées et formatées : chaque image, chaque employé.e est voué à devenir un logo Playboy. De son uniforme à son attitude, la bunnie est instrumentalisée jusqu’à ce qu’elle corresponde à la norme playboy. En outre, les rapports sociaux sont marqués par une action d’expression de genre fortement ritualisée ; on entre dans un espace où la séduction est intrinsèquement mise en scène par des liens théâtraux entre les genres, entre les membres et l’espace post-domestiqué.
Playboy crée une hégémonie dans son royaume : la similarité entre les différents espaces et clubs, le logo playboy, les accessoires et produits dérivés de l’entreprise rassemblent tous les produits spatiaux entre eux. Ils représentent quelque chose de l’ordre même du culte, miroitant directement le paradigme playboy et plus largement, la production de bien de plaisir comme d’un capital : la masculinité, détachée de ses valeurs transcendantales, devient alors un code générique du capitalisme. L’univers total de playboy, que ça soie via le magazine ou les produits spatiaux, crée une expérience sociale dédiée à « ressentir » les choses. Le magazine et l’architecture des produits spatiaux représentent des images, icônes visuelles qui incitent à vivre des « expériences », qui produisent un effet de « storytelling » : une fiction narrative collective capable de modeler la réalité.
Le club playboy et son paradigme engendrent une révolution architecturale et sociale de l’espace de plaisir. L’industrie hôtelière incorpore désormais des clubs, restaurants, cinémas ou casinos à ses hôtels : ainsi est crée l’hôtel type caractéristique de Las Vegas. Les clubs et hôtels post-domestiques répondent à l’esthétique et au paradigme technologique de surveillance playboyien. De l’extérieur, les façades des clubs et hôtels tendent à se fondre le plus possible dans le voisinage, affichant ses différences et particularités à l’intérieur. La diffusion du paradigme playboyien comme standard de vie n’est donnée à voir que dans l’intimité d’un certain espace restreint et élitiste.
La pratique du vice et de la prostitution est modernisée peu-à-peu, et est ainsi rendue plus élégante, confinée dans un espace de camouflage urbain. Les codes et paradigmes de prostitutions se confondent avec une lecture libérale de la « liberté sexuelle féminine ». La transformation playboyienne du travail en plaisir comme ligne directrice idéologique entraîne le paradigme féminin de la Playmate à s’approprier sa sexualité, à transformer le devoir sexuel en divertissement. Ainsi, la prostitution est abolie par playboy, puisque le paradigme veut que la playmate soie épanouie et joueuse sans rapport financier entre sa sexualité et son plaisir, qui ne deviennent plus qu’un. C’est entre autre par ce biais-ci que s’opère une révolution de la sexualité féminine, de normes religieuses et traditionnelles à une forme d’émancipation socialement instrumentalisée (avec l’apparition de la pilule par exemple). Dès lors, c’est une évidence que les produits spatiaux playboy représentent une influence importante liée à la culture hédoniste et psychédélique populaire, esthétique, architecturale et politique des années 1960. Ainsi, le playboy club et son étendue sont définis comme environnements types, représentant un monde et un modèle précis de sexualité, d’hétéro-normativité et de technologie dans le contexte international néo-libéral : Preciado le désigne comme premier « pornscape ».
En 1971, HH acquiert un manoir à LA, qui rapidement devient résidence officielle playboy. L’architecture du manoir playboy ouest rompt radicalement avec le modèle du manoir de Chicago, se rapprochant d’une esthétique plus proche de la nature, de la serre et de l’extravagance. La nouvelle demeure rejette l’enfermement urbain, et établit de nouvelles relations avec la nature et les fantasmes européens et coloniaux de nature exotique. Elle s’approprie des attributs naturels comme ornements, une esthétique à l’intersection entre nature et culture, modèle architectural populaire en France et en Angleterre à la fin du XVIIIesiècle. Le manoir de LA représente ainsi un «jardin d’Éden moderne ». Le jardin comprend des petits chemins, des collines, cascades, piscines interconnectées, etc. Il y a aussi des animaux tropicaux, lamas, paons, flamant-roses ou encore chimpanzés qui gambadent partout dans la demeure, sautent d’arbres en arbres et se baignent avec les invités dans la piscine. S’inspirant des grottes de Lascaux, grande source d’inspiration dans la culture populaire entre les années 50 et 60, HH fait construire une énorme fausse grotte préhistorique recouverte d’un dôme, dans lequel des insectes sont momifiés, ayant l’air coincés dans de l’ambre. L’intérieur de la maison aussi est envahi par les fioritures, tentative de solidifier l’organique, et donner vie à l’architecture. Dans les standards architecturaux du XVIIIe, le manoir west est un jardin secret artificiel, une copie contemporaine de la folie extravagante rococo.
La notion de kitsch a été utilisée pour décrire les codes et paramètres érotiques de Playboy. Ni simplement descriptif, ni uniquement jugement de valeur, le concept de kitsch est un élément clé dans l’histoire de l’art et de l’architecture moderne. En réponse, il semble adéquat de décrire les produit spatiaux de Playboy comme des fictions naturalisées technologiquement. La sexualité et l’architecture ne sont jamais des éléments originaux mais plutôt toujours le produit de représentations technologiques qui tendent à se présenter elles-mêmes comme naturelles, qu’il s’agisse de fantastiques grottes préhistoriques, ou de prudes chambres matrimoniales d’un foyer de banlieue.
Dans les années 80, l’émergence de chaînes télé et de vidéos pornographiques et des mesures légales contraignantes restreignent les profits de playboy, qui peu à peu finit par fermer tous ses clubs. Néanmoins, l’apparition des produits spatiaux induit vers un tournant révolutionnaire sur l’économie du spectacle, sur la ville nord-américaine et les habitudes de ses consommateurs. Ainsi, on peut dire que le processus de « playboyisation » a affecté les formes d’organisations de la vie domestique, et de la vie émotionnelle de l’espace intérieur nord-américain durant la guerre froide. Le manoir playboy a réussi à combiner médiatisation, développement immobilier, et l’usage de technologies audiovisuelles de surveillance et de simulation, tout cela en créant un parc à thème basé sur la narration d’une fiction érotique pour adultes. Playboy et Disney se rassemblent sur le plan médiatique et spatial, les deux sont des pourvoyeurs de fantasmes. Dans ce sens, on remarque une fois de plus le succès de l’usage narratif des produits spatiaux, que ça soit pour enfants ou adultes. La pornotopia de Playboy construit un pont invisible entre le rococo architectural européen du XVIIIe siècle, et la technologie du XXIe siècle. Avec une version érotisée du parc, des médias et de l’espace domestique, Playboy crée un environnement social post-fordiste néo-libéral qui préfigure les corporations porno-pharmaceutiques du XXIe siècle.